Liège fait de la commande publique la clé d'un système alimentaire local et durable

Edited on 27/05/2024

More sustainable and healthy meal at the canteen

Liège se repose sur les marchés publics dans le cadre d'un système alimentaire plus local, saisonnier et durable.

En trois ans, la ville de Liège est passée de 0 % à 70 % d’ « alimentation durable »dont plus de 50 % issue de produits locaux : "Nous ne manquons pas de travail", affirme Davide Arcadipane, de l'Intercommunale de Soins Spécialisés de Liège (ISoSL). ISoSL est une intercommunale qui fournit 4 000 repas par jour à plus de la moitié des cantines des écoles primaires de Liège. 

Depuis le lancement du réseau de transfert URBACT BioCanteens #2 (2021-2022), ISoSL a entrepris une transformation à 360° : adaptation des menus et intégration de produits bio, locaux, sains, frais et de saison, mise en place d'une dynamique de travail entre les cuisiniers et les écoles de la ville, mesure du gaspillage alimentaire, développement d'une application mobile de commande de repas pour alléger le travail administratif des écoles et fournir aux cuisiniers des numéros de commande précis, organisation de visites chez les producteurs avec les cuisiniers, le service des achats et les diététiciennes, modification de six des neuf contrats alimentaires publics pour les écoles et les crèches, avec l'objectif d'une alimentation 100 % locale et bio à l'horizon 2024

Toutes ces transformations ont abouti à un changement profond du système ISoSL. En prévision du prochain EU City Lab, qui aura lieu à Liège, cet article explore le système alimentaire intégré de la ville et, en particulier, le rôle des marchés publics dans la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Une stratégie pour un système alimentaire intégré

Au début de l'année 2021, ISoSL a décidé d'adopter une approche systémique de sa restauration collective, englobant quatre grands domaines de travail : la politique d'achat, la gestion de la production, la réduction des déchets et la sensibilisation à l'alimentation durable. 

Il y aurait beaucoup à écrire sur chacun des aspects de cette approche et sur l'écosystème alimentaire liégeois dans son ensemble. Dans le cadre de cet article, il convient d'examiner quelques pistes pour la stratégie : Comment la ville peut-elle changer sa façon d'acheter pour que des produits durables entrent dans les cuisines ? Qu'est-ce qui constitue une stratégie d'achat cohérente avec les valeurs de l'alimentation durable ? Comment la capacité d'achat de ISoSL peut-il être mis à profit pour investir dans des systèmes alimentaires locaux, durables et résilients ?

ISoSL inter-municipal association central kitchen preparing 12,000 meals per day (Photo credit, Strategic Design Scenarios)

Cuisine centrale de l'intercommunale ISoSL préparant 12 000 repas par jour (Crédit photo, Strategic Design Scenarios).

Révolutionner les processus d'approvisionnement alimentaire

Les questions agricoles ne sont pas toujours bien comprises par ceux qui ne sont pas impliqués dans le secteur. C'est pourquoi ISoSL visite systématiquement les producteurs et les exploitations lors de l'analyse des offres. « Nous adaptons nos besoins à l'offre de la région, et non l'inverse ». Pour Davide Arcadipane, il s'agit d'un véritable changement de paradigme en matière d'approvisionnement, qui s'oriente vers des produits frais, de saison, issus de circuits courts et aussi bruts que possible. La rencontre avec les producteurs est essentielle. Elle permet aux cuisiniers et aux diététiciens de comprendre l'histoire des produits et la diversité des productions locales.   

Le calendrier est également lié à la politique d'achat de ISoSL : les marchés se terminent et démarrent à des moments très précis. Le service des achats de la ville a établi un calendrier des contrats à renouveler, qui sont traités l'un après l'autre.

Le travail commence toujours par un inventaire des besoins : quels produits pour quel usage ? Quelles quantités ? A quelle fréquence ? Etc. Bref, toutes les informations utiles à la préparation des repas, et donc à l'attribution d'un nouveau marché public.

L'étape suivante consiste à effectuer des recherches sur le terrain afin de déterminer les producteurs et les entreprises locales susceptibles de répondre à ces besoins. Il est important de connaître l'offre pour établir un cahier des charges adapté. L'offre doit être entendue comme l'offre globale à un moment donné, sur un territoire donné, et non comme le dépôt d'une offre par un soumissionnaire. 

Une fois que ISoSL a la certitude que tous les fournisseurs disposent d'une gamme de produits permettant de produire des menus sains et diversifiés, de nouveaux critères de sélection sont intégrés dans l'appel d'offre. La législation sur les marchés publics n'est pas facile à utiliser et il n'est pas toujours aisé de trouver les bons critères. Une équipe pluridisciplinaire composée du service des achats et de juristes (internes et externes à ISoSL) travaille à l'introduction de critères permettant de s'assurer que les produits sont respectueux de l'environnement, du bien-être animal, sains et équitables, et qu'ils ne contribuent pas au gaspillage alimentaire. S'ensuit une procédure classique de soumission d'offres, de tests culinaires, de désignation du fournisseur, etc.

"Sur le papier, il semble assez simple d'introduire des produits durables dans les cuisines collectives, mais en réalité, c'est assez complexe et cela demande beaucoup d'énergie", poursuit Davide. "Il y a des obstacles logistiques, humains et financiers, en particulier la dualité entre la demande de prix bas de la part des utilisateurs des cantines et la nécessité d'offrir des prix rémunérateurs aux producteurs". 

Aller au-delà des cantines pour lutter contre le gaspillage alimentaire

En Belgique, le "repas chaud" de la cantine a souvent mauvaise réputation. En effet, seule une douzaine de pour cent des écoliers y mangent. Les autres se contentent de leur "boîte à tartines" apportée de la maison, qui contient rarement un repas équilibré, sain et varié. Les cantines sont souvent des lieux bruyants où les enfants mangent à la hâte, sans être accompagnés ni encouragés à goûter. En Belgique, l'heure du déjeuner est également considérée comme un "temps non scolaire". C'est donc un temps qui n'est pas financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles compétente. De ce fait, la tendance est souvent de négliger ces moments, de faire garder les enfants par des "auxiliaires", c'est-à-dire du personnel généralement non qualifié et non formé. Cependant, le changement positifs adoptés dans les cantines scolaires, auront un impact moindre que dans d'autres pays européens où les cantines scolaires sont généralisées. C'est une raison supplémentaire pour ne pas en rester là, pour étendre ces politiques à l'ensemble de la restauration collective et pour développer une prise de conscience générale.

Le réseau de transfert URBACT BioCanteens #2 a joué un rôle clé dans le développement d'une approche alimentaire locale intégrée à Liège, protégeant à la fois la santé des citoyens et l'environnement. Dans le cadre de BioCanteens, les cuisines de ISoSL ont sélectionné neuf écoles pilotes à partir desquelles un diagnostic approfondi du processus de restauration a été réalisé. Dans le cadre de ce diagnostic, une attention particulière a été portée à la réduction des déchets. "La phase d'observation a permis de mettre en évidence trois moments critiques où ces déchets étaient visuellement présents", explique Julien Chapaux, chargé de réaliser le premier diagnostic pour Liège, "lors de la production et de la cuisson des repas, lors du conditionnement et de la distribution depuis la cuisine centrale et lors de la consommation dans les écoles".

Tout d'abord, lors de la production, les variations journalières des commandes de repas vont de 100 à 350 repas. Pour éviter de manquer de repas lors de l'emballage et du service dans les écoles, les cuisiniers avaient pris l'habitude d'en produire systématiquement plus. Chaque jour, la cuisine prévoyait donc une marge de sécurité, ce qui entraînait inévitablement un gaspillage lors de la production.   

Deuxièmement, lorsque les repas sont mis dans les conteneurs isothermes pour être envoyés dans les écoles (distribution en liaison chaude), le personnel dispose d'un temps très court pour emballer les 2 500 repas destinés aux 150 écoles. Les observations ont montré que le personnel n'a pas toujours la même rigueur au début et à la fin de la chaîne de conditionnement. Cela a conduit à des différences de poids des aliments dans les conteneurs isothermes pour les premières écoles desservies et celles de la dernière tournée.

Enfin, lors de la consommation du repas, il a été constaté qu'il y avait généralement trop (ou parfois pas assez) de nourriture dans les conteneurs isothermes, mais surtout que beaucoup d'enfants ne finissaient pas leur assiette.

En février 2022, Liège a mis en place une série de pondérations sur la production, l'emballage et la consommation. Un étudiant a effectué huit semaines d'analyse (une semaine par école). Il a été mesuré que le gaspillage global des repas était de 51%. Pour les soupes, ce chiffre était de 57%. Ces résultats spectaculaires ont confirmé la première série d'observations avec des chiffres quantitatifs qui ont convaincu ISoSL et tous les systèmes de cantines de la ville de prendre des mesures. Une série de mesures ont été prises : application de la commande de repas avec des délais de commande stricts, pesée à la ligne d'emballage, sensibilisation dans les écoles, etc.

More sustainable and healthy meal at the canteen (photo credit: MAdil)

Un repas plus durable et plus sain à la cantine (crédit photo : MAdil).

Quand un mouvement ascendant rencontre la gouvernance urbaine

Penser le marché de manière durable est un processus complexe. Il ne suffit pas de changer tel ou tel critère, ou d'exiger plus d'aliments locaux et de qualité. La clé de ces changements, c'est la co-construction et la volonté commune d'y parvenir, l'implication de tous les acteurs. "ISoSL et la ville de Liège n'auraient pas pu mettre tout cela en place sans la Ceinture Alimentaire Terre Liégeoise", affirme Véronique Biquet, chargée de mission Alimentation saine et durable pour tous au sein du Plan de Cohésion Sociale de Liège. "En tant qu'acteurs publics, nous n'avons pas la capacité de mobiliser l'écosystème local des producteurs sans l'appui d'experts et d'animateurs locaux". 

La Ceinture Alimentaire Terre Liégeoise est née de l'association de plus de 400 acteurs de la région, il y a environ 14 ans. Il fallait une plateforme pour soutenir et structurer cette mobilisation des producteurs, des maraîchers, des épiceries biologiques, des cantines et restaurants durables. Le changement rapide réalisé par ISoSL et Liège a été grandement facilité par l'existence d'un vaste et solide réseau d'acteurs engagés. 

La collaboration plus étroite entre la Ceinture Alimentaire de Liège et les autorités publiques liégeoises génère une dynamique en plein essor au sein de l'écosystème local de l'alimentation saine et durable. Parallèlement à la transformation des cantines scolaires, de nombreuses initiatives ont vu le jour ces dernières années, impliquant diverses organisations et institutions.

Visit to a local sustainable food producer (Photo credit: MAdil).

Visite d'un producteur local d'aliments durables (Crédit photo : MAdil).

La MAdil, Maison de l'Alimentation durable et inclusive de Liège, permet de découvrir, de tester et d'apprendre les bonnes pratiques alimentaires, y compris la protection de l'environnement et la lutte contre le gaspillage alimentaire. Les activités comprennent des ateliers culinaires, des tables d'hôtes, des promenades autour des plantes sauvages comestibles, des rencontres avec des producteurs locaux, des initiations aux techniques de maraîchage, etc.

HORIZON, centre logistique dédié aux circuits courts, est opérationnel depuis un an au Marché Matinal de Liège à Droixhe, avec un espace de stockage destiné notamment aux coopératives locales pour l'approvisionnement des cuisines collectives. Le marché hebdomadaire "Circuits courts" accueille une vingtaine de producteurs locaux et plus de 1000 visiteurs tous les jeudis, de mai à octobre, sur la place Cathédrale.

Le programme CREaFARM, qui met gratuitement à disposition des terrains publics pour des projets agricoles locaux et urbains. Les parcelles agricoles sont exploitées par des maraîchers selon le principe de l'agriculture soutenue par la communauté.

La création du CPA (Conseil de Politique Alimentaire) en tant qu'organe de consultation et de coordination est également remarquable. Il est dédié aux acteurs du système alimentaire, à l'échelle des 24 communes de Liège Métropole et est composé de six groupes de travail.

Enfin, il y a un mois, a débuté la construction d'une légumerie et d'une conserverie, financée par des fonds européens et prévue dans le cadre du plan national de relance et de résilience. Cette nouvelle installation sera active en 2025 et permettra d'approvisionner en légumes locaux et frais la cuisine de ISoSL et au-delà. 

 

Logistics hub for local producers at the historic Droixhe morning bulk market (photo credit: ville de Liège)

Plate-forme logistique pour les producteurs locaux au marché en vrac historique de Droixhe (crédit photo : Ville de Liège).

Bonnes pratiques : de ville en ville

Pour rappel, le Réseau de Transfert BioCanteens a joué un rôle important pour catalyser ce processus à Liège. En effet, Liège s'est engagée dans un processus d'adaptation de la Bonne Pratique de la ville de Mouans-Sartoux avec ses moyens et son contexte : une distribution quotidienne de repas 100% bio à base de produits locaux ; une réduction drastique du gaspillage alimentaire ; l'organisation d'activités éducatives dédiées à la sensibilisation des enfants à l'alimentation durable, etc.

"A Mouans-Sartoux, la ville a commencé à prendre des mesures en faveur d'une alimentation plus saine et durable et les citoyens et la société civile ont rejoint le mouvement. A Liège, c'est l'inverse, la Ceinture Alimentaire de Liège a lancé le processus de transition alimentaire et l'administration communale s'en est inspirée pour mettre en place sa gouvernance alimentaire saine et durable" résume Gilles Pérole, Echevin de Mouans-Sartoux en charge de l'Enfance, de l'Education et de l'Alimentation et Coordinateur du Réseau de Transfert URBACT BioCanteens. 

Ce succès signifie-t-il que Liège lance son propre Réseau de transfert URBACT au niveau régional ? "D'une certaine manière, oui", répond Davide Arcadipane. "Ce que nous avons réalisé ici est possible sur tous les territoires belges. Plus d'initiatives de la part d'autres villes comme Liège produiront plus de transition vers des pratiques durables de la part des producteurs alimentaires, plus de potentiel pour encourager le changement par le biais de marchés publics stratégiques malgré la baisse du pouvoir d'achat due à l'inflation, plus d'implication et de cohérence en termes de politiques liées à l'alimentation entre les niveaux de gouvernance locaux, régionaux, fédéraux et européens".

 

Visit to a local sustainable food producer (Photo credit: MAdil)

Nouvelle plate-forme logistique en circuit court programmée pour 2025 (Crédit photo : Gaetan Wijnants).

Prochaines étapes pour Liège

Beaucoup a été fait en un temps relativement court pour transformer la cuisine centrale de ISoSL. Quels sont les prochains défis pour la ville ? La cuisine centrale a commencé à préparer deux légumes frais locaux par jour. La nouvelle légumerie et conserverie pourra traiter 1 400 tonnes de légumes produits localement par an et couvrir plus que les besoins de ISoSL. Cette légumerie permettra d'atteindre l'objectif initial de 100 % de produits biologiques, annoncé en 2021 lors de l'entrée dans le réseau de transfert BioCanteens URBACT.

En 2023, les cantines scolaires liégeoises représentaient environ 1.000.000 € dont 600.000 € sont déjà classés comme "alimentation durable". Cela démontre, que les marchés publics ont un effet stimulant important sur l'émergence de nouveaux producteurs d'aliments durables et sur la transition de l'écosystème agricole local. 

Les 4 000 repas par jour fournis aux écoles et aux crèches devraient maintenant être étendus à 12 000 repas par jour, y compris aux hôpitaux et aux maisons de retraite de la région. Il existe un fort intérêt politique, y compris de la part d'autres villes wallonnes. En outre, une étude est en cours pour évaluer les coûts réels, c'est-à-dire les coûts de fourniture de repas durables et locaux, mais aussi les coûts cachés pour les autorités publiques dus à une alimentation malsaine, à la diffusion de maladies connexes telles que l'obésité, etc. 

EU City Labs : Qu’est-il prévu au menu ?

La création d'un écosystème riche et articulé est essentielle pour soutenir les changements de pratiques : il s'agit d'assurer l'évolution des citoyens vers une alimentation plus saine et plus durable. Ce point a été analysé dans le récent article "Nourrir le changement : Cities empowering healthier and more sustainable food choices" (Nourrir le changement : les villes favorisent des choix alimentaires plus sains et plus durables) ainsi que dans le cadre de l'EU Food City Lab sur le thème "Changing Habits for a Healthy and Sustainable Food System" (Mouans-Sartoux (FR), 21-22 mars 2024). L'exemple liégeois montre, que cela vaut également pour le changement des pratiques des parties prenantes (agriculteurs, transformateurs, cuisiniers, personnel des cantines, etc.)

Du 29 au 30 mai 2024, Liège accueillera le EU City Lab sur les marchés publics pour une alimentation plus locale, saisonnière et durable. Les EU City Labs sont des événements de partage des connaissances organisés conjointement par URBACT et l'Initiative urbaine européenne. L'édition de Liège est la deuxième d'une série de trois événements qui se dérouleront dans différentes villes et qui seront axés sur le changement des habitudes alimentaires, l'approvisionnement en denrées alimentaires et la préservation des terres agricoles, ainsi que sur d'autres éléments permettant de cultiver des systèmes alimentaires locaux prospères dans les zones urbaines.

Vous souhaitez rencontrer d'autres villes, représentants et organisations travaillant sur cette question ? L'inscription à la prochaine édition du EU City Lab est encore ouverte. Consultez le programme complet et inscrivez-vous ici.

Vous souhaitez en savoir plus sur les experts URBACT en matière d'alimentation et de sujets connexes ? Visitez le carrefour de connaissances URBACT sur l'alimentation.

¹ L'ISoSL utilise la définition de "l'alimentation durable" figurant dans la stratégie alimentaire de la Région wallonne "Manger Demain" et celle de la FAO.

 

Submitted by François Jégou on 27/05/2024
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François Jégou

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